Avec plus de 117 millions de personnes déplacées de force dans le monde, la connectivité mobile devient un enjeu humanitaire majeur. L’émergence de la technologie eSIM ouvre de nouvelles perspectives pour les populations en exil, transformant radicalement leur accès aux services essentiels et leur capacité à maintenir des liens vitaux avec leurs proches.

Une crise mondiale du déplacement sans précédent

Les données publiées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) révèlent l’ampleur d’une crise humanitaire qui ne cesse de s’aggraver. À la fin de l’année 2024, le monde comptait 123,2 millions de personnes déplacées de force, soit une augmentation de 7 millions par rapport à l’année précédente. Ce chiffre représente approximativement une personne sur 67 à l’échelle mondiale, un ratio qui illustre la dimension planétaire de cette problématique.

Parmi ces populations déracinées, 42,5 millions bénéficient du statut de réfugié, tandis que 67,8 millions sont des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. La Syrie demeure la plus importante crise de déplacement au monde avec 13,8 millions de personnes concernées, suivie par le Soudan, où 14,3 millions d’individus ont été contraints de fuir leur foyer. Ces situations prolongées — 66 % des réfugiés relevant du mandat du HCR sont déplacés depuis plus de cinq ans — appellent des solutions durables et innovantes.

Source : Rapport Tendances mondiales 2024, HCR/UNHCR

La connectivité : un besoin fondamental reconnu

Les travaux conjoints menés par le HCR et Accenture ont démontré que l’accès à un téléphone mobile et à Internet est considéré par de nombreux réfugiés comme aussi essentiel que la nourriture, l’eau potable et l’abri. Cette réalité a été confirmée par des recherches conduites dans 44 pays et sur quatre continents, établissant que pour les personnes en situation d’exil, un téléphone connecté à Internet constitue une véritable bouée de sauvetage.

Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a souligné l’importance cruciale de cette connectivité : elle permet aux réfugiés de communiquer avec les membres de leur famille dont ils ont été séparés, d’accéder aux services essentiels et de se reconnecter avec les communautés locales, nationales et mondiales. Plus fondamentalement encore, la connectivité contribue à accroître les possibilités pour les réfugiés d’améliorer leur vie et de se construire un avenir.

Cependant, la fracture numérique affecte particulièrement ces populations vulnérables. Globalement, les réfugiés sont deux fois moins susceptibles d’avoir un téléphone connecté à Internet que la population générale, et 29 % des ménages de réfugiés ne possèdent pas de téléphone. Dans les zones rurales, où réside une part significative des personnes déplacées, la situation est encore plus critique : une personne sur cinq n’a aucune couverture de réseau mobile.

Source : Rapport « Réfugiés connectés », HCR et Accenture

L’eSIM : une révolution technologique pour les populations mobiles

La technologie eSIM (embedded SIM ou SIM intégrée) représente une avancée majeure dans le domaine des télécommunications. Définie par la GSMA comme une révolution pour la prochaine génération d’appareils connectés, cette innovation permet de stocker plusieurs profils d’opérateurs sur un même appareil et de passer de l’un à l’autre à distance, sans manipulation physique de carte SIM.

Pour les réfugiés et les personnes déplacées, cette caractéristique présente des avantages considérables. Lors du franchissement des frontières, l’un des premiers obstacles rencontrés est l’obtention d’une carte SIM locale. Les exigences d’identification, souvent incompatibles avec le statut administratif précaire des réfugiés, constituent fréquemment un frein majeur à l’accès aux services de téléphonie mobile. L’eSIM contourne en partie cette difficulté en permettant l’activation à distance d’un profil opérateur, sans nécessiter de démarche physique auprès d’un point de vente.

La spécification SGP.32, publiée par la GSMA, marque une étape décisive dans la démocratisation de cette technologie. Conçue pour répondre aux contraintes spécifiques de l’Internet des objets (IoT) et des déploiements à grande échelle, elle facilite l’interopérabilité entre les différents acteurs du secteur et simplifie les processus de provisionnement à distance. Les projections de l’industrie indiquent que sur les six milliards de connexions IoT attendues d’ici 2030, plus de la moitié s’appuieront sur la technologie eSIM.

Source : GSMA, spécification SGP.32 eSIM IoT

Des initiatives internationales pour connecter les réfugiés

L’initiative « Connectivity for Refugees », lancée en 2023 lors du Forum mondial sur les réfugiés, incarne la mobilisation internationale en faveur de la connectivité des populations déplacées. Ce partenariat public-privé, qui réunit le HCR, l’Union internationale des télécommunications (UIT) et la GSMA Mobile for Development Foundation, s’est fixé pour objectif ambitieux de garantir que toutes les principales zones d’accueil de réfugiés disposent d’une connectivité accessible et abordable d’ici 2030.

Les programmes déployés au Tchad, en Éthiopie, en Ouganda, en Mauritanie, en Égypte et au Rwanda témoignent de l’opérationnalisation de cette stratégie. John Giusti, président de la GSMA Mobile for Development Foundation, souligne que la connectivité est souvent la première chose que les personnes demandent lorsqu’elles traversent une frontière en quête de sécurité. Ce partenariat permet de proposer des solutions de connectivité évolutives et durables pour soutenir les personnes déplacées de force et les communautés qui les accueillent.

Le centre conjoint de données sur les déplacements forcés, créé par le Groupe de la Banque mondiale et le HCR, illustre également cette approche coordonnée. En promouvant les innovations pour améliorer les données sur les déplacements forcés au moyen de l’imagerie satellitaire, de la téléphonie mobile et d’autres technologies nouvelles, cette initiative renforce la capacité des acteurs humanitaires à répondre efficacement aux besoins des populations concernées.

Source : HCR, UIT, GSMA Mobile for Development Foundation

Applications concrètes : de l’aide financière à l’éducation

L’expérience du camp de Bidibidi en Ouganda, qui accueille plus de 500 000 réfugiés sud-soudanais, illustre les transformations rendues possibles par la connectivité mobile. Les accords conclus entre le HCR et les opérateurs de réseaux mobiles MTN, Africell et Airtel ont permis d’installer une infrastructure de télécommunications fixe, assurant une connectivité stable à l’ensemble de la population du camp ainsi qu’aux communautés d’accueil environnantes.

Cette infrastructure a rendu possible le déploiement de systèmes de paiement électronique, permettant aux réfugiés de recevoir des aides financières sur des cartes prépayées et d’effectuer leurs achats auprès de commerçants locaux équipés d’applications de paiement mobile. L’utilisation de l’argent mobile s’est généralisée : dans certains camps, comme celui de Kiziba, 59 % des réfugiés utilisateurs actifs recourent à ces services financiers numériques.

Au-delà de l’aspect financier, la connectivité ouvre des perspectives dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle. Les formations en ligne permettent aux réfugiés d’améliorer leurs compétences et leurs perspectives d’emploi, contribuant ainsi à leur autonomisation et à leur intégration dans les communautés d’accueil. Le HCR fournit également des téléphones aux représentants des réfugiés pour faciliter le signalement des problèmes de protection, d’approvisionnement en eau et d’accès aux services essentiels.

Source : HCR, rapport sur le camp de Bidibidi, Ouganda

Les défis persistants de la fracture numérique

Malgré ces avancées, des obstacles significatifs demeurent. L’accessibilité économique représente souvent le principal frein à la connectivité pour les populations réfugiées. Le coût des appareils compatibles eSIM, généralement plus élevé que celui des téléphones basiques, constitue une barrière à l’adoption de cette technologie par les personnes aux ressources limitées.

Les contraintes réglementaires représentent un autre défi majeur. Dans de nombreux pays, l’enregistrement d’une carte SIM — qu’elle soit physique ou virtuelle — requiert des documents d’identité que les réfugiés ne possèdent pas toujours. Le HCR travaille avec les régulateurs des télécommunications pour déterminer si les documents d’enregistrement ou les attestations délivrées par l’agence peuvent satisfaire aux critères d’identification requis pour l’obtention d’une ligne mobile.

L’infrastructure elle-même reste insuffisante dans de nombreuses régions d’accueil des réfugiés. Selon les données du HCR, si 90 % des réfugiés vivant en milieu urbain bénéficient d’une couverture 2G ou 3G, un cinquième de ceux qui résident en zones rurales n’ont aucun accès à Internet. Cette disparité territoriale nécessite des investissements ciblés dans les infrastructures de télécommunications, en coordination avec les opérateurs de réseaux mobiles et les autorités de régulation nationales.

Perspectives : vers une connectivité universelle pour les réfugiés

L’engagement des acteurs institutionnels et privés laisse entrevoir des perspectives encourageantes. La coalition numérique Partner2Connect de l’UIT a mobilisé plus de 70 gouvernements, entreprises et organisations pour mettre en place des solutions de connectivité destinées aux réfugiés. La secrétaire générale de l’UIT, Doreen Bogdan-Martin, a souligné lors d’une récente visite au Tchad comment la connectivité peut redonner dignité et espoir aux personnes déplacées et aux communautés d’accueil.

Les évolutions technologiques, notamment le développement de la 5G et des réseaux à faible consommation énergétique (LPWAN), ainsi que l’émergence de solutions de connectivité par satellite, ouvrent de nouvelles possibilités pour les régions actuellement mal desservies. L’intégration de ces technologies avec les solutions eSIM pourrait permettre d’atteindre des populations jusqu’ici exclues de la révolution numérique.

Le HCR renforce également son engagement auprès d’acteurs du développement tels que la Banque mondiale et la Société financière internationale, en cherchant à allouer une partie des projets d’infrastructure numérique à grande échelle aux zones d’accueil des réfugiés. Cette approche intégrée, qui bénéficie simultanément aux populations déplacées et aux communautés hôtes, constitue un modèle de développement durable et inclusif.

Source : UIT, coalition Partner2Connect

La technologie eSIM s’affirme comme un levier de transformation majeur pour l’accès à la connectivité des populations réfugiées. En simplifiant les processus d’activation et en offrant une flexibilité accrue dans le choix des opérateurs, elle répond aux besoins spécifiques de personnes dont le parcours migratoire implique de traverser plusieurs frontières et de s’adapter à de multiples environnements réglementaires.

Toutefois, la technologie seule ne saurait résoudre l’ensemble des défis. L’accessibilité économique, les obstacles réglementaires et les lacunes infrastructurelles appellent une mobilisation coordonnée des États, des organisations internationales, du secteur privé et de la société civile. C’est à cette condition que la promesse d’une connectivité universelle pourra se concrétiser pour les millions de personnes qui, contraintes à l’exil, aspirent légitimement à maintenir le lien avec leurs proches et à se construire un avenir meilleur.

Sources et références

• HCR/UNHCR – Rapport Tendances mondiales 2024

• HCR/UNHCR – Rapport semestriel sur les tendances mondiales

• HCR et Accenture – « Réfugiés connectés : Comment l’Internet et la connectivité mobile peuvent améliorer le bien-être des réfugiés »

• GSMA – Spécifications eSIM (SGP.22, SGP.32)

• Union internationale des télécommunications (UIT) – Initiative Partner2Connect

• Groupe de la Banque mondiale et HCR – Centre conjoint de données sur les déplacements forcés

• Initiative Connectivity for Refugees (HCR, UIT, GSMA)