Les frontières invisibles du mobile et de l’internet
Analyse approfondie de la fracture numérique territoriale en France et des enjeux d’équité d’accès aux télécommunications mobiles dans les zones rurales
En partenariat avec Bisatel Telecom

Une cartographie de l’exclusion numérique
Ces villages coupés en deux par les réseaux, dans la France contemporaine, où la dématérialisation des services publics s’accélère et où le smartphone devient l’interface privilégiée du quotidien, une réalité méconnue persiste : des milliers de communes demeurent partiellement ou totalement exclues des réseaux de téléphonie mobile. L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) estime qu’en 2024, environ 1,9 % du territoire métropolitain reste classé en zone blanche pour la 4G, soit des espaces où aucun opérateur ne propose de couverture satisfaisante. Derrière ce pourcentage apparemment modeste se cachent des réalités humaines concrètes : l’impossibilité de joindre les services d’urgence, l’exclusion des démarches administratives en ligne, ou encore l’isolement économique de territoires entiers.
La problématique dépasse largement le simple confort technologique. Le sociologue Christophe Guilluy, dans son ouvrage La France périphérique, décrit l’émergence de « deux France qui s’ignorent et se font face » : celle des métropoles connectées, vitrine de la mondialisation, et celle des petites villes et zones rurales, concentrant 60 % de la population mais souvent laissée pour compte de la modernité numérique. Cette fracture territoriale se manifeste particulièrement dans le domaine des télécommunications mobiles, où les logiques de rentabilité économique des opérateurs entrent en contradiction avec les impératifs d’aménagement du territoire.
Le New Deal mobile : une réponse institutionnelle aux disparités territoriales
Face à l’ampleur du phénomène, l’État français a engagé depuis 2018 une politique volontariste baptisée « New Deal mobile ». Cet accord, négocié entre le gouvernement, l’ARCEP et les quatre opérateurs nationaux (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile), vise à généraliser une couverture mobile de qualité sur l’ensemble du territoire. Le dispositif repose sur des obligations contraignantes : chaque opérateur s’engage à déployer au minimum 5 000 nouveaux sites d’ici 2026, dont une part significative en zones peu denses. La Mission France Mobile, pilotée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), coordonne l’identification des zones prioritaires en concertation avec les collectivités locales.
Les résultats témoignent d’avancées substantielles. Entre fin 2017 et fin 2022, le nombre de sites équipés en 4G a plus que doublé sur le territoire national. La part du territoire bénéficiant de la couverture 4G des quatre opérateurs est passée de 45 % début 2018 à 88 % au troisième trimestre 2023. Au 30 septembre 2024, l’ARCEP recensait 3 231 sites de couverture ciblée en service, destinés à combler les zones blanches identifiées par les pouvoirs publics. Ces chiffres traduisent un effort d’investissement considérable, évalué à plusieurs milliards d’euros, principalement supporté par les opérateurs dans le cadre de leurs obligations réglementaires. Les entrepreneurs souhaitant comprendre les mécanismes de création d’un opérateur télécom peuvent constater l’ampleur des investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs de couverture territoriale.
Les zones grises : quand la couverture statistique masque les réalités du terrain
Ces villages coupés en deux par les réseaux. Au-delà des zones blanches officiellement recensées, un phénomène moins visible affecte de nombreux territoires : les zones grises. L’ARCEP définit ces espaces comme des zones couvertes par un ou deux opérateurs seulement, contraignant les habitants à un choix limité ou à l’impossibilité d’utiliser leur forfait habituel. Cette situation génère des inégalités concrètes : un résident peut disposer d’une excellente couverture avec un opérateur et se retrouver totalement isolé avec un autre. Les études de l’UFC-Que Choisir révèlent qu’environ un tiers des habitants des communes de moins de 1 000 habitants ne bénéficient pas d’un accès Internet mobile de qualité minimale.
La notion de « qualité de service » constitue elle-même un enjeu de définition. Les cartes de couverture publiées par les opérateurs reflètent des mesures théoriques, souvent plus optimistes que l’expérience réelle des utilisateurs. Le relief, la végétation, les matériaux de construction des habitations ou les conditions météorologiques peuvent significativement dégrader la réception du signal. L’ARCEP a développé l’outil « Mon réseau mobile » permettant aux citoyens de vérifier la qualité effective des services dans leur zone de résidence, mais l’écart entre promesses commerciales et réalité terrain demeure une source récurrente de mécontentement.
Conséquences socio-économiques de l’enclavement numérique
L’absence de couverture mobile satisfaisante engendre des répercussions multidimensionnelles sur les territoires concernés. Sur le plan économique, elle constitue un frein majeur à l’attractivité : les entreprises, notamment les TPE et PME, peinent à s’installer dans des zones où la connectivité demeure aléatoire. Les professions libérales, les artisans, les agriculteurs se trouvent pénalisés dans leur activité quotidienne, alors même que la numérisation des échanges commerciaux et administratifs s’impose comme norme. Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) souligne que « les infrastructures numériques sont indispensables pour les territoires ruraux : sans ces dernières, le maintien de leurs populations et de leurs activités n’est pas assuré ».
Les conséquences sociales s’avèrent tout aussi préoccupantes. L’isolement numérique accentue la vulnérabilité des populations les plus fragiles, notamment les personnes âgées vivant seules, dont la proportion atteint des niveaux élevés dans les zones rurales. L’accès aux services de santé, à travers la télémédecine, devient problématique précisément là où le désert médical est le plus prononcé. Les jeunes des territoires ruraux, privés d’une connectivité de qualité, disposent d’un accès réduit aux ressources d’orientation professionnelle et éducative. Une étude révèle que 42 % des jeunes de 17 à 23 ans issus des zones rurales estiment ne pas avoir eu suffisamment d’informations pour s’orienter, une situation aggravée par l’enclavement numérique.
Perspectives technologiques et solutions alternatives
Face à ces défis, plusieurs pistes technologiques émergent pour compléter ou pallier les lacunes de la couverture mobile traditionnelle. La 4G fixe, déployée via des box spécifiques, permet aux foyers situés dans des zones mal desservies par les réseaux filaires de bénéficier d’un accès Internet performant utilisant le réseau mobile. Au 30 septembre 2024, 729 sites dédiés à cette technologie étaient opérationnels sur le territoire. L’Internet par satellite, incarné notamment par des constellations en orbite basse, offre une alternative pour les sites les plus isolés, bien que son coût et ses contraintes techniques limitent encore sa démocratisation. Les solutions SIM et eSIM internationales permettent également aux utilisateurs de bénéficier d’une couverture optimisée en s’appuyant sur les réseaux de multiples opérateurs.
Le déploiement de la 5G, concentré jusqu’à présent sur les zones urbaines denses, pourrait à terme contribuer à l’amélioration de la couverture rurale. Les obligations fixées dans le cadre des autorisations de fréquences de la bande 3,5 GHz imposent aux opérateurs de déployer au moins 25 % de leurs nouveaux sites dans les communes des zones peu denses et des territoires d’industrie. L’ARCEP recensait 56 400 sites équipés pour la 5G en France métropolitaine au 30 septembre 2024, dont 33 700 utilisant la bande 3,5 GHz offrant les meilleurs débits. Toutefois, l’équilibre entre zones urbaines et rurales dans ce déploiement demeure un enjeu de vigilance pour les années à venir.
Vers une gouvernance territoriale de la connectivité
La résorption des fractures numériques territoriales appelle une gouvernance renouvelée, associant étroitement État, collectivités locales, opérateurs et citoyens. Le dispositif de couverture ciblée du New Deal mobile illustre cette approche : les zones à équiper sont identifiées par les collectivités territoriales, plus à même d’apprécier la réalité effective de la couverture sur le terrain. Plus de 90 % des sites déployés dans ce cadre sont mutualisés entre les quatre opérateurs, témoignant d’une collaboration renforcée au service de l’intérêt général. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) joue un rôle pivot dans cette coordination, assurant le suivi des engagements et l’arbitrage des situations conflictuelles.
La médiation numérique constitue un complément indispensable aux infrastructures. Dans le cadre du plan de relance, l’État a soutenu le recrutement de 4 000 médiateurs numériques supplémentaires, déployés notamment dans les collectivités territoriales pour accompagner les publics les plus éloignés des usages numériques. Le Pass numérique, dispositif de chèques formation, facilite l’accès à des ateliers d’initiation. Ces actions reconnaissent que la fracture numérique ne se réduit pas à une question d’infrastructures : elle englobe également les compétences, les équipements individuels et la confiance dans les outils numériques.
Conclusion : un défi de cohésion nationale
Les frontières invisibles dessinées par les réseaux mobiles sur le territoire français constituent un défi majeur de cohésion nationale. Alors que la dématérialisation des services progresse inexorablement, garantir à chaque citoyen un accès équitable aux télécommunications relève d’un impératif d’égalité républicaine. Les progrès accomplis depuis 2018 dans le cadre du New Deal mobile témoignent qu’une politique volontariste, associant régulation contraignante et investissements massifs, peut produire des résultats tangibles. Néanmoins, l’objectif d’une couverture universelle de qualité demeure inachevé, appelant une vigilance soutenue des pouvoirs publics et une mobilisation durable de l’ensemble des acteurs de l’écosystème télécommunications.
Références et sources
Sources institutionnelles :
• ARCEP – Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : rapports trimestriels sur la couverture mobile (www.arcep.fr)
• ANCT – Agence nationale de la cohésion des territoires : bilan du New Deal mobile et Mission France Mobile (www.anct.gouv.fr)
• Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et énergétique : dispositifs de couverture mobile (www.economie.gouv.fr)
• Sénat – Questions parlementaires sur la fracture numérique territoriale (www.senat.fr)
• Assemblée nationale – Rapport sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires (www.assemblee-nationale.fr)
Sources académiques et analytiques :
• Guilluy C. (2014), La France périphérique, Flammarion
• Pasquier D. (2018), L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Presses des Mines
• Salaün P. (2023), « Les territoires ruraux face à la fracture numérique », dans Les territoires ruraux en France : Fracture territoriale ou nouvelles dynamiques ? Association Population & Avenir
• UFC-Que Choisir – Études sur l’accès à Internet en zones rurales (2019)
Données statistiques :
• Data.gouv.fr – Statistiques des zones blanches des réseaux mobiles
• CGET/Réseau rural national – L’impact des usages du numérique sur le développement rural
• Région Hauts-de-France – Indice de fragilité numérique territorial (2021-2023)








